Analyse Ciné : « L’Amant d’un Jour » de Philippe Garrel (2017)

En cette fin d’été, j’ai décidé de vous parler du mieux possible de « L’Amant d’Un Jour », réalisé par Philippe Garrel, et sortie en salle l’année dernière.

Il a été présenté à la « Quinzaines des Réalisateurs » dans le cadre du festival de Cannes.

Il raconte l’histoire de Gilles, père mais aussi professeur de philosophie à l’université. Sa fille, Jeanne, va retourner chez lui après une séparation douloureuse avec son copain et premier grand amour. Sauf que, ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’une fille du même âge qu’elle, Ariane, vit avec son père.

J’en avais déjà entendu parler lors de sa sortie, notamment par le biais d’une lecture dans les « Cahiers du Cinéma », et cette analyse m’avait beaucoup intriguée.

J’ai finalement visionné le film il y a quelques jours, et j’ai été à la fois surprise et perturbée.

Alors quand un film me parle, j’ai envie de partager mon ressenti avec vous !

Je vais vous raconter en détails …

(Attention, dans cette critique, je parle de certaines scènes qui peuvent « spoiler » !)

Contre les conventions…

Dès les premières scènes, nous sommes directement immergés et confrontés au coeur de l’intrigue du film.

Une entrée violente dans le « cœur de l’action ».

Une ouverture surprenante sur cette jeune élève, Ariane, qui attend patiemment dans les couloirs de l’université son professeur. On s’attend à une discussion banale.

En fait, après un bref échange de regards, ils s’enferment dans les toilettes pour faire l’amour.

Un vrai choc !!!

Cette première scène est absolument choquante pour le spectateur. Une surprise et une indignation totale. Sans même tenter d’introduire les personnages, le réalisateur nous les présente brutalement en pleine action.

Nous comprendrons par la suite que le sexe est un composant essentiel de l’intrigue dramatique…

Suite à cette scène, on passe brutalement sur un plan de Jeanne, écroulée, les yeux mouillés, assise par terre devant une entrée d’immeuble.

La superposition de ces deux scènes est extrêmement troublante : les cris de plaisir d’Ariane sont brouillés par les sanglots de Jeanne.

Un point important que je vais aborder n’est autre que l’amour entre Jeanne et Gilles, qui participe du côté choquant de ce long-métrage. Il s’agit, en effet, d’un amour peu conventionnel. Entre un prof et son élève.

Difficile d’accepter la situation pour le spectateur.. Surtout qu’il sort déjà sonné de la première scène de sexe, dans les toilettes des profs, où il a vu ces deux protagonistes.

Cette relation interdite, anormale, est montrée de manière extrêmement crue pour s’adoucir par la suite.

Ce dont nous pouvons être sûrs, c’est qu’il nous la montre comme une relation extrêmement bancale.

Ariane ne semble pas y porter une très grande importance.

Gilles est dans une toute autre attente : après seulement trois mois, il la fait déjà venir chez lui pour partager sa vie.

On perçoit assez spontanément un décalage entre les souhaits des deux personnages.

Gilles cherche la stabilité, quelqu’un avec qui finir sa vie.

Ariane voit plutôt cela comme une relation de jeune couple, encore poreuse et incertaine.

Plus le temps passe, plus on ressent cet écart entre les générations qui se creuse.

Aucune des deux ne sait comment plaire, ou rendre heureux l’autre. Ils semblent avoir conscience de leurs différences mais cela les dépassent.

. Quand Gilles discute avec Ariane dans la rue, il lui dit : « Si tu veux que ça dure nous deux, on doit apprendre à ne pas se blesser ».

Ils n’ont pas l’air d’avoir de points communs non plus. Ils ne semblent pas forcément être heureux de partager la même couche, le même logement, les mêmes repas..

Et bien évidement, en plus de cela, s’ajoute l’aspect sociétal : ils se cachent bien de montrer leur amour aux autres.

. Ainsi, la seule scène où nous les voyons vraiment discuter, la caméra effectue un plan zoom. Et une vitre sépare les personnages du spectateur. Ils sont enfermés.

. Dans une autre scène de table avec des invités, ils ne se touchent pas et font comme si de rien n’était. La voix off intervient d’ailleurs pour nous faire part de l’information suivante : « A part Jeanne, personne ne savait qu’Ariane était avec Gilles ».

Du fait de cet amour caché, Gilles est souvent blessé et très jaloux des jeunes hommes que fréquente d’un peu trop près Ariane. Il est impuissant.

Un autre aspect entre en compte. Le spectateur ne peut s’empêcher de juger les protagonistes : Gilles ne profiterait-t-il pas de la jeunesse et de l’innocence d’Ariane pour combler son manque d’amour ? Et Ariane ne profite-t-elle pas de Gilles pour avoir un logement et vivre sans grande difficulté ?

De ce côté-là, le film reste assez neutre : aucun jugement n’est prononcé.

Alors un débouché pour Ariane et Gilles ? Le film ne semble pas vraiment nous en montrer. Leurs chemins vont d’ailleurs se séparer tout naturellement à la toute fin du film.

Éloge de l’amour féminin…

Très rapidement, le film va être axé sur les deux personnages féminins : Ariane et Jeanne, toutes les deux 23 ans.

Au début, on y croit pas du tout! Quand Jeanne débarque chez elle en pleine nuit, le spectateur sachant qu’Ariane est dans la maison a peur de sa réaction !

. Un gros plan sur le sac à main d’Ariane nous montre la découverte stupéfaite de Jeanne qu’une autre femme est dans la maison.

A certains moments aussi, l’une est jalouse de l’autre. Gilles est un peu coincé entres les deux femmes, presque manipulé. Il sort avec l’une, puis avec l’autre. Mais jamais les deux ensemble. Une comparaison lui est impossible pour lui entre sa fille et son amante.

Mais finalement, une vraie complicité va se créer entre les deux femmes, au plus grand étonnement du spectateur.

. Ariane soutient Jeanne dans son chagrin d’amour.

. Et Jeanne cache les secrets passionnels d’Ariane à son père.

C’est par le biais de leurs discussions, leurs affrontements, mais aussi leur complicité, que va émaner de ces deux personnages une reconnaissance immense, une appréciation mutuelle, un amour au-delà de toute attirance passionnelle, et presque une grande amitité.

A elles-deux, elles représentent deux femmes uniques et différentes.

Jeanne représente la femme abattue, sans repères, détruite par ce qu’elle croyait être l’amour de sa vie. Et qui parfois se fait des films aussi !

. Par exemple, quand elle fait croire à Ariane que son amour a essayé de la rappeler en faisant sonner le téléphone à la maison.

Ariane, elle, symbolise la femme dévergondée, qui aime son corps et profite de chaque occasion pour éprouver du plaisir avec un homme, qui n’a pas peur des autres et s’assume complètement.

. Au moins trois ou quatre fois dans le film, on la sent interessée et attirée par d’autres garçons. Et souvent dans la foulée, on la voit même avoir des rapports intimes avec eux.

Ces deux profils que tout oppose cohabitent sous le même toit.

Très vite, elles vont mutuellement se supporter (terme à prendre à la fois négativement et positivement).

. Jeanne va tenter de se suicider et Ariane va l’en empêcher : cette scène, riche en émotion, va enclencher ce soutien mutuel entre les deux femmes. Puis Jeanne va découvrir le côté libertin d’Ariane et lui promettre de ne rien dire à son père pour qu’il ne la quitte pas.

Leur escapade commune pour se découvrir et oublier leurs chagrins est un moment très important du film qui montre bien leur entraide.

On les découvre toutes deux dans les bras de garçons. D’ailleurs la scène de leur danse est assez longue et insistante.

En dehors de cet aspect là, leurs discussions sont aussi très importantes et riches : elles se posent beaucoup de questions sur leur vie sentimentale actuelle et à venir, échangent leurs points de vues sur l’amour, le désir, la passion…

A un moment, on se demande même si elles ne vont pas se retrouver autrement : je pense à devenir amantes.

Or, cet attachement va finir par prendre fin.

L’amour de ces femmes pour leurs hommes détruit leur amitié : Jeanne retrouve son copain tandis qu’Ariane a été larguée par Gilles.

Elles vont se trahir mutuellement : Ariane va dire à Gilles que sa fille a fait une tentative de suicide alors que cela devait rester un secret.

Plus aucun contact ne se fera entre Jeanne et Ariane. Et quel tristesse pour le spectateur ! Le seul amour qui semblait être bénéfique aux personnages et perdurer dans l’histoire finit par être anéanti.

Amour érotique : moteur du film et destructeur …

Le sexe gagne sur tout.

L’amour passionnel dicte les vies de nos protagonistes et les détruit à petit feu.

Il va jouer un mauvais tour à Ariane, puisque à force de courir les garçons et tromper Gilles, elle va finir seule et trahie par ses propres pulsions.

Ensuite, il va propulser Jeanne vers une vie morne et solitaire, presque jusqu’à la mort. Sans son amant pour prendre soin d’elle, son âme paraît quitter son corps. Elle va vite se rattraper en côtoyant d’autres garçons pour tenter de combler ce vide affectif… sans grand succès.

Pour finir, il va assomer de douleur Gilles qui apprend, sans grande surprise, les infidélités et parties de jambes en l’air régulières d’Ariane, qui pourtant dit l’aimer plus que tout.

. Quand il va surprendre Ariane en train de s’envoyer en l’air dans les couloirs de l’université, il va tomber de haut.

Conclusion personnelle…

J’ai essayé de vous faire part des grands enjeux sociétaux et amoureux qui ressortent de ce film.

Bien sûr qu’il y avait énormément d’autres choses à dire ! Pour ma part, j’ai plutôt tenté de m’interesser à l’aspect scénaristique du film.

J’espère, toutefois, que vous en aurez eu une approche globale et qui vous aura plu !

Pour ma part, je l’ai apprécié pour ce trio hors du commun, cette histoire d’amour banale mais qui reste taboue, les différents stades de la vie et la façon dont sont présentées les différentes natures de l’amour.

Mais, vous l’avez bien compris en me lisant… pour être franchement apprecié, ce film doit être vu !

Un film cru tant dans sa thématique que dans sa durée : seulement 1h10.

Elvia Hodin – 29/08/18

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image de couverture : @cinematoi

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