Starship Troopers : Retour sur les critiques du film de Paul Verhoeven 20 ans après

Il y a 20 ans (quasiment jour pour jour) sortait sur les écrans américains ce qui reste encore à l’heure actuelle l’une des satires les plus féroces adressées au pays de l’oncle Sam : Starship Troopers.

Si le film est à présent avalisé – il est même étudié dans le cadre du dispositif national Lycéens et Apprentis au Cinéma – et a influencé un nombre incalculable de BD, jeux vidéos et jeux de plateau (coucou Games Workshop), il est important de se rappeler qu’à sa sortie, le film de Paul Verhoeven était au centre de la polémique, parfois pour des raisons opposées.

– Mais puisqu’on vous dit qu’il n’y aucune ressemblance!

Starship Troopers est donc l’adaptation du roman, Étoiles, garde-à-vous ! (écrit en 1959 par Robert A. Heinlein), réalisée en 1997 par le cinéaste d’origine hollandaise, Paul Verhoeven. Le film suit l’histoire de Johnny Ricco, jeune «civil» devant accomplir son «Service Fédérale» dans l’infanterie mobile, alors que l’humanité est en lutte avec une race extraterrestre belliqueuse, les Arachnides (enfin, d’après les services de propagande).

Le sujet du film peut paraître, au premier abord, relativement simpliste, mais ce dernier, pour peu que l’on connaisse les films précédents du réalisateur (dont le caractère transgressif n’est plus à démontrer), révèle très vite une nature éminemment subversive. C’est donc une grille de lecture politique qui a été privilégiée dans la majeure partie des critiques françaises qui ont été rédigées sur Starship Troopers.

Néanmoins, on peut douter que l’aspect politique du film se soit véritablement imposé de lui-même cheztous les rédacteurs. Car, lors de la projection de presse de l’œuvre de Paul Verhoeven, l’attaché de presse s’était lancé dans une vaste campagne de réhabilitation du film afin d’affirmer son caractère contestataire. La presse américaine ayant quelques semaines plus tôt taxé le film de « nazi1 » et « fasciste2 ».

Une grande partie des critiques hexagonales réalisées sur Starship Troopers reviennent sur cette réception critique du film par la presse américaine.

Par exemple, Frédéric Bonnaud des Inrockuptibles, prend la défense du film et du cinéaste en déclarant:«certains ont voulu faire semblant de confondre Verhoeven avec l’objet de son dégoût.3» Cyril Beghin dans son dossier sur le film, explique que ces attaques sont dues au fait que « Starship Troopers a été victime de sa propre radicalité plastique et de son agressivité politique.4»

Tandis que Yannick Dahan de Positif, développe dans sa critique l’idée selon laquelle « Verhoeven a subi l’attaque moralisatrice des critiques américaines » qui l’ont « taxé de fasciste » car le réalisateur ne propose pas une vision dogmatique de l’histoire, dans la mesure où le film ne présente pas le fascisme comme une notion abstraite appartenant à un passé révolu, mais comme un devenir possible de l’humanité, sans pour autant que le réalisateur ne propose de « contrepoint moral, sans la petite touche scénaristique qui rassure le spectateur sur «l’irréalité» de la perspective.5»

La presse française a bien vu que le film n’était pas un simple blockbuster mais qu’il délivrait un «message» politique, le problème étant alors de se mettre d’accord sur la nature du dit message (sans compter les analyses à côté de la plaque, on y viendra). Ainsi, tous les journalistes ont repéré le caractère très superficiel des protagonistes, «Tous beaux, stupides, tout droit sortis de l’usine de poupées Barbie6», «des créatures de sitcoms7», des «top models8», «les acteurs sont donc des jouets9», «des étudiants réduits à de simples pantins10», des «êtres de synthèse11»,«tous semblables, tous issus de la même chaîne defabrication de poupées.12»

Mais, les conclusions divergent quant aux raisons de cet aspect simpliste. Pour une partie des journalistes, il ne s’agit que de la confirmation de leur avis, le plus souvent négatif, sur Starship Troopers, par exemple pour Juliette Michaud de Studio, Starship Troopers est un film « à l’eau de rose »13.

Pour d’autres, cela découle bien sûr d’une volonté réelle de la part du réalisateur, qu’il convient d’inscrire dans le discours critique qu’il développe dans le film où les personnages «sont à eux-mêmes leur propre critique.14»

Starshop Troopers fun

Exemple de film à «l’eau de rose »

Dans sa critique particulièrement élogieuse du film, Frédéric Bonnaud revient brièvement sur la filmographie de Paul Verhoeven et notamment sur Robocop, le premier film qu’il a réalisé aux Etats-Unis, ainsi que Showgirls le film qu’il a réalisé avant Starship Troopers. Verhoeven y est présenté comme un «cinéaste très réactif à sa société d’accueil », dans la mesure où il n’hésite pas à se montrer très critique envers la politique belliciste des Etats-Unis, mais qui parvient également à « assurer le spectacle tout en le mettant en pièces, s’emparer de l’idéologie des images et la subvertir de l’intérieur ».

C’est-à-dire qu’il parvient à faire coexister sur un même plan l’exigence du film à grand spectacle, avec tout ce que cela comporte comme dimension jubilatoire, et la charge politique féroce. Bonnaud montre que le film délivre « une critique radicale contre l’idéologie des images », bâtie en réaction des médias américains qui sont parvenus à légitimer l’intervention militaire en Irak lors de la première Guerre de Golfe.

Starship Troopers est un film indissociable du contexte politique qui l’a vu naître et qui s’emploie à offrir une mise en garde contre la manipulation des foules par l’image, sous le couvert d’une fiction guerrière, en reprenant à son compte les « recettes de montée d’intensité et d’hystérisation collective » utiliser dans la cadre de la propagande15 (et toujours tristement d’actualité).

Pour Yannick Dahan, le film est dépourvu de tout didactisme dans la mesure où son idéologie met le spectateur dans une position inconfortable, car le réalisateur entraine chez le publicune fascination pour ses effets (imageries, réalisations, effets visuels), «sans remise en cause narrative, sans personnage «moral» pour la critiquer, forcément provocatrice et gênante puisqu’elle place le spectateur face à ses responsabilités ».

Il s’agit, pour Cyril Beghin, de « la grande caractéristique du film, et, ce qui ancre la difficulté de son appréhension: aucun personnage ne doute, les décisions morales, qu’elles soient militaires ou amoureuses, des plus ordinaires aux plus scandaleuse, ne sont jamais discutées».

De plus, après un bref retour sur la réception du film aux Etats-Unis, Beghin déclare que pour Verhoeven :«non seulement le film est antifasciste et antimilitariste, mais il constitue une charge contre la violence de la politique étrangère américaine et la propagande nationale qui la soutient ».

Car le film utilise pour lui des procédés propres à la parodie mais qui ne sont soutenus par aucun processus de mise en accusation explicite, le film fonctionnant au second degré. Or, cela représente justement le cœur de la critique que rédige Kent Jones dans le Cahiers de cinéma. Ainsi, le défaut du film serait pour lui de « jouer précisément sur le registre qu’il prétend parodier », obéissant ainsi à une idée simpliste, celle que l’homme est bestial par nature, et Jones de développer l’hypothèse selon laquelle « Verhoeven est peut-être convaincu que pour l’homme, le fascisme est un état naturel ».

This is your brain on Starship Troopers!

L’aspect politique du film suscite de vifs débats parmi les rédactions, cela n’a pas empêché certains critiques de passer totalement à côté de ce sujet. Emmanuel Burdeau dans les Cahiers de Cinéma, déclare «qu’on se sent mal à l’aise à la vision de Starship Troopers, agressé, oppressé », car le cinéaste pensant que son discours serait perçu intuitivement par le spectateur ne s’est pas réellement soucié d’autojustification. Ainsi, pour le critique «on ne peut pas croire à une parodie car cela signifierait qu’il faut prendre le film au second degré […]. Nazi, peut-être pas, mais réactionnaire sans aucun doute ».

Critique valable certes, mais qui ne résiste pas à une investigation claire et précise sur les intentions de l’auteur, car c’est justement de second degré dont il est question ici, dans la mesure où Verhoeven montre clairement l’inverse de ce qu’il pense. La suite de sa carrière et notamment son film sur la résistance hollandaise Black Book (2006), fera mentir les allégations d’Emmanuel Burdeau.

Dans sa critique particulièrement agressive, parue trois mois après celle d’Emmanuel Burdeau (!), Christophe Honoré déclare que Starship Troopers est un film formaté pour les «puceaux accros aux jeux vidéos qui entrent dans la salle comme ils se mettent aux manettes d’un Doom Like », car pour lui le film «est bien à prendre comme un jeu vidéo, point. Que moi, je le considère plutôt comme un cédérom pornographique, n’est qu’une joyeuse perversion de ma part ».

Le futur réalisateur d’Un homme au bain (2010), utilise un champ lexical fleuri et pas du tout condescendant: « les films à voir, à l’image d’une pratique sexuelle», «puceaux», « Le bonheur n’a rien à voir là-dedans. La jouissance si.»,«J’ai bel et bien joui de la torture des corps à visage humain». On peut penser que l’absence d’analyse sur l’aspect politique du film est liée au fait que Christophe Honoré n’était pas présent lors de la fameuse conférence de presse, qui ventait justement le sous-texte contestataire du film de Paul Verhoeven.

Cette critique du film fut d’ailleurs (à juste titre) sujette à controverse, ainsi Nicolas Bonci rédacteur pour le site L’ouvreuse, s’est fendu d’un texte prenant la défense de Paul Verhoeven, tout en mettant en débat la critique d’Honoré sur le film. Starship Troopers est donc «une satire médiatique et générationnelle», ce que le rédacteur des Cahiers du cinéma ne semble pas avoir perçu et Nicolas Bonci de rajouter:

Christophe Honoré est un cinéphile expérimenté16, ainsi il ne se fait pas avoir par une forme ostentatoire dépeignant une génération engluée dans la propagande médiatique. Le spécialiste du cinéma préfère se fier à son expérience de cinéphile qui veut que tout film hollywoodien est à prendre au premier degré, est dénué du moindre sous-texte.[…] Christophe Honoré a bien sûr vu Soldiers Of Orange. Christophe Honoré, en bon cinéphile expérimenté bardé de ces références, ne peut qu’appréhender Starship Troopers sous l’angle de la charge pamphlétaire antimilitariste17.

La grille d’analyse politique du film phagocyte les autres lectures possibles que l’on pouvait appliquer à Starship Troopers. En effet, aucune des critiques ne parlent de réalisation et le film n’est jamais réellement abordé de façon formelle. Tout au plus des retours sont fait sur les effets spéciaux, pionniers pour l’époque (et qui tiennent toujours la route) : «les effets spéciaux, particulièrement réussis, sont d’un réalisme (si j’ose dire) sans faille18», «les plus impressionnants jamais réalisés19».

L’ensemble des critiques rédigées sur Starship Troopers, montre qu’il s’agit indubitablement d’une œuvre qui prête à débat, ouvertement contestataire pour certain, réactionnaire pour d’autres, le film de Paul Verhoeven est depuis devenu une œuvre importante dans le genre de la science-fiction et la satyre qu’il dépeint est, à l’instar d’Idiocracy, de plus en plus d’actualité.

Bibliographie :

  • JONES Kent, « Starship Troopers de Paul Verhoeven », in, Cahiers du Cinéma, n°520, janvier 1998, p.42.
  • BURDEAU Emmanuel, « A good bug isadead bug » in, Cahiers du cinéma, n°520, janvier 1998, p.62.
  • BONNAUD Frédéric, « Macrocosmos » in, Les Inrockuptibles, n°135, janvier 1998, p.35.
  • DAHAN Yannick, « Starship Troopers : Le maître du haut château » in, Positif, n°444, février 1998, p.45.
  • MICHAUD Juliette, « Starship Troopers » in, Studio, n°131, février 1998, p.12.
  • HONORE Christophe, « Starship Troopers » in, Cahiers du cinéma, n°523, avril 1998, p.41.
  • BEGHIN Cyril, « Dans la violence des signes » in, Paul Verhoeven : Starship Troopers, Cahiers du cinéma coll: Lycéens et apprentis au cinéma, Paris, 2007, p.7.
  • BONCI Nicolas, «Honoré vs Verhoeven» in, [En ligne], L’ouvreuse, publié le 8 avril 2009, Lien.

Notes :


1 BURDEAU Emmanuel, «A good bug is a dead bug» in, Cahiers du Cinéma, n°520, janvier 1998, p.62.

2 JONES Kent, «Starship Troopers de Paul Verhoeven», in, Cahiers du Cinéma, n°520, janvier 1998, p.42.

3 BONNAUD Frédéric, «Macrocosmos» in, Les Inrockuptibles, n°135, janvier 1998, p.35.

4 BEGHIN Cyril, «Dans la violence des signes» in, Paul Verhoeven: Starship Troopers, Cahiers du cinéma coll: Lycéens et apprentis au cinéma, Paris, 2007, p.6.

5 DAHAN Yannick, «Starship Troopers: Le maître du haut château» in, Positif, n°444, février 1998, p.45.

6 MICHAUD Juliette, «Starship Troopers» in, Studio, n°131, février 1998, p.12.

7 BURDEAU Emmanuel, «A good bug is a dead bug» in, Cahiers du cinéma, n°520, janvier 1998, p.62.

8 DAHAN Yannick, «Starship Troopers: Le maître du haut château» in, Positif, n°444, février 1998, p.45.

9 HONORE Christophe, «Starship Troopers» in, Cahiers du cinéma, n°523, avril 1998, p.41.

10 BONCI Nicolas, «Honoré vs Verhoeven» in, [En ligne], L’ouvreuse, publié le 8 avril 2009.

11 BEGHIN Cyril, «Dans la violence des signes» in, Paul Verhoeven: Starship Troopers, Cahiers du cinéma coll: Lycéens et apprentis au cinéma, Paris, 2007, p.7.

12 BONNAUD Frédéric, «Macrocosmos» in, Les Inrockuptibles, n°135, janvier 1998, p.35.

13 MICHAUD Juliette, «Starship Troopers» in, Studio, n°131, février 1998, p.12.

14 BEGHIN Cyril, «Dans la violence des signes» in, Paul Verhoeven: Starship Troopers, Cahiers du cinéma coll: Lycéens et apprentis au cinéma, Paris, 2007, p.7.

15 Par ailleurs, Verhoeven a déclaré s’être inspiré de l’esthétique des films de Riefenstahl pour Starship Troopers.

16 Il s’agit d’une des formules (un brin sentencieuse, mais alors juste un brin) présentes dans la critique d’Honoré «Je suis un spectateur expérimenté!»

17 BONCI Nicolas, «Honoré vs Verhoeven» in, L’Ouvreuse.net, url: http://louvreuse.net/Instant-critique/honore-vs-verhoeven.html

18 BURDEAU Emmanuel, «A good bug is a dead bug» in, Cahiers du cinéma, n°520, janvier 1998, p.62.

19 DAHAN Yannick, «Starship Troopers: Le maître du haut château» in, Positif, n°444, février 1998, p.45.

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