Critique Cinéma : « Darkest Hour » (Les Heures sombres), de Joe Wright (Positive)

Depuis 2015, Wright été resté discret. Il faut dire qu’il n’est pas du genre prolifique (sept long-métrages en 12) et que son incursion chez le géant américain Warner (distributeur du film) avec Pan, n’a pas été le succès attendu. Je ne me lancerai pas sur ce sujet, car pour moi ce film n’est même pas un Joe Wright.

Bref, le réalisateur britannique s’essaye cette fois au biopic avec Darkest Hour et retrace quelques jours de la vie de Winston Churchill, célèbre personnage et premier ministre du Royaume-Uni, au mois de mai 1940, durant la Seconde Guerre mondiale.

Pour avoir déjà vu des interprétations de Churchill à la télévision ou au cinéma – notamment dernièrement, dans la série The Crown, où il est incarné par un excellent John Lithgow – c’est un personnage historique aussi fascinant que déplaisant. En effet, l’homme est dur, impoli, s’emporte facilement, fume autant qu’il boit (ou l’inverse ?) et le politicien est féroce, impitoyable, mais aussi courageux, roublard et terriblement efficace.

Peu attachant en raison de son caractère, il est néanmoins captivant. Agé de 66 ans au moment de son élection, il a l’air d’être grabataire et agit souvent comme un vieillard un peu gâteux, qui radote et marmonne. Pourtant, son expérience, son esprit est vif et sa clarté d’esprit sur la situation géopolitique mondiale, en même temps que son charisme, ont permis à son pays de sortir de l’attitude nonchalante, défaitiste et passive dans laquelle il était plongé et qui le menait droit vers l’invasion nazie.

En quelques jours seulement, Churchill est parvenu à changer la léthargie politique généralisée – et parfaitement incarnée par son prédécesseur Neville Chamberlain, mais aussi par la plupart des hommes politiques vieillissants et loin des considérations du peuple, quel que soit leur parti – en un espoir presque fou de pouvoir se battre, repousser l’envahisseur et même, à terme, gagner la guerre !

En ne donnant à voir que ces quelques jours de mai, au lieu du traditionnel biopic en schéma rise and fall (ascension du personnage et sa chute), Wright montre l’urgence de la crise et surtout son contraste avec l’inactivité patente et les discussions interminables des politiques.

Il fait se heurter ces scènes statiques, aux teintes sombres, où la lumière est presque inexistante ou toujours ténue (donnant clairement une impression de mollesse naphtalinée), à celles de bombardement, de vie londonienne et de fourmilière sur le front, donnant l’impression que tous s’affairent (les londoniens, les français qui fuient, les soldats qui tentent de rentrer chez eux, les nazis qui avancent inlassablement) sauf le gouvernement anglais.

Les premiers plans de ces réunions où tout se décide, filmés en légères contre-plongées, donnent d’ailleurs l’impression qu’il s’agit de contempler ces grands hommes aux commandes d’une des plus grandes crises mondiales du siècle dernier de notre place de tout petit spectateur, mais leur mise sur un piédestal s’arrête là.

Quand le vicomte d’Halifax (équivalent d’un actuel ministre des affaires étrangères en 1940) refuse la charge de Premier Ministre par crainte de ne pas être accepté par le parti opposé (lui est Conservateur, l’opposition est « Travailliste »), il pose clairement les jalons de la politique britannique de l’époque (n’étant pas spécialiste du sujet, je me contenterais de cette époque sans comparaison avec la situation actuelle) : il faut s’accrocher au pouvoir, faire consensus et surtout pas de vague.

Entre alors en scène Churchill, l’ogre, le comédien, le one-man show, interprété par Gary Oldman (tout juste primé pour ce rôle aux Golden Globes 2018 – Meilleur acteur dans un drame) et ses idées spontanées et, il faut bien le dire, un peu folles : appeler directement le président américain Roosevelt pour lui demander de l’aide, demander l’avis de ces concitoyens dans le métro ou prévoir le rapatriement des soldats anglais à bord de bateaux civiles, y compris de simples voiliers.

Wright ne l’épargne pas plus que les autres politiques : il filme ses débordements, ses éclats de voix, mais aussi ses doutes, et l’humanise grâce à sa complicité avec sa femme (Kristin Scott Thomas) ou son amitié avec sa secrétaire (Lily James). Face au roi (George VI, le roi bègue, joué par Ben Mendelsohn) il fanfaronne un peu car il se sait impressionnant, mais quand il s’agit de son pays, il est rongé par la peur de faire le mauvais choix, poussé par ses collègues à faire une erreur qui lui vaudrait son poste.

Car le dilemme auquel il fait face aurait pu changer l’histoire de l’Angleterre, mais aussi de l’Europe et des pays du Commonwealth : céder à Hitler en capitulant ou riposter, quand les chances de gagner sont quasi inexistantes tant le bulldozer nazi a déjà rasé la moitié de l’Europe.

Le scénario d’Anthony McCarten (à qui l’on doit aussi Une merveilleuse histoire du temps, The Theory of Everything, réalisé par James Marsh, sorti en 2014 et produit par Working Title Films[1]) est habité, grâce à la réalisation de Wright, d’une urgence et d’un suspense inquiétant, renforcé par la sublime musique de Dario Marianelli[2] et le remarquable soin apporté à la photographie par le français Bruno Delbonnel (César de la meilleure photographie en 2005 pour Un Long dimanche de fiançailles de Jeunet, quatre nominations aux Oscars).

Même si l’on connait le dénouement, on tremble pendant les bombardements de la France, souligné par l’implacable bande-son qui rythme la scène, tout comme les bruits métalliques qui parcourent tout le film (cliquetis de la bague de Churchill, machine à écrire). Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’on peut pratiquement insérer un autre film du réalisateur dans celui-ci.

En effet, dans Reviens-moi, Robbie, le héros, est un des soldats anglais qui se retrouvent piégés sur la plage de Dunkerque. La scène de bombardement de Calais dans Darkest Hour est très proche esthétiquement de celles de Reviens-moi où Robbie et ses camarades tuent le temps en attendant leur mort certaine. Le travail de la musique est en outre très similaire dans les deux films, Dario Marianelli ayant fait des bruits de touche de machine à écrire un élément rythmique essentiel de Reviens-moi.

On retrouve une réalisation et une mise en scène de Joe Wright à la fois classique (les gros plans sur les mains sont par exemple une de ses obsessions inexpliquées), mais novatrice dans l’exercice du drame historique qu’il parvient à rendre angoissant.

Il sort de sa zone de confort (pas de Keira Knightley et autres acteurs avec qui il collabore régulièrement, qui sont habitués avec sa façon très particulière de diriger les acteurs – il les laisse très libre de construire leur rôle et leur donne assez peu d’indications de jeu), mais sans aller aussi loin que pour ses précédents films, comme dans Anna Karenine où il explorait le quasi huis clos, le changement de décors à vue et la mise en scène des rouages du spectacle. En bref, parce qu’il faut bien conclure, Darkest Hour est du grand Wright, qui fait vibrer et qui fait tellement regretter de devoir attendre son prochain film si longtemps !

[1] Working Title Films est une société de production britannique avec laquelle Joe Wright a déjà collaboré pour plusieurs de ses films dont Reviens-moi et Orgueil et Préjugés.

[2] Dario Marianelli a collaboré avec Wright sur quatre autres films et a remporté un Oscar et un Golden Globe pour Reviens-moi et pour Anna Karénine.

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