Confinement, un Journal | Jour 6 : La balade du dimanche

Vendredi matin, j’ai reçu un courriel de mon amie M. se plaignant que nos compatriotes, peu scrupuleux quant aux règles de confinement, retardaient son retour à la vie citadine. Je lui promis d’enquêter.

Si les rues françaises sont largement désengorgées, les regroupements familiaux, les marchés alimentaires, les joggers et ceux qui s’en contrefichent offrent ce sentiment que l’on ne sera pas libéré de nos habitations de sitôt.

Autre effet de cette  missive : je me rends compte à quel point ce journal est resté autocentré. L’énorme audience que génèrent mes publications doit servir à des objectifs plus ambitieux, à éveiller les consciences.

Je fais le tour des enfants pour savoir qui veut m’accompagner. Tofu se lèche les parties, l’air bête, en me regardant du fond du jardin. Nesquik me répond que non, qu’il enquête déjà très bien d’où il est, merci pour la proposition, poute. Quant à Gros Chat Gris, il refuse depuis 2007 de s’aventurer plus loin qu’au 12 de l’impasse.

Ne me reste donc que… Lui.

Je monte à l’étage où le plus confiné des habitants de l’Amazing Bicoque m’attend. Après une brève description de la mission, Lemmy accepte bien entendu de sortir. 

Nous prenons nos affaires : masques, gants en latex, gel hydroalcoolique, sandwichs, bières et carottes. J’imprime la dérogation obligatoire en ajoutant la mention manquante : “Enquête sur le terrain en vue du bien de toutes et de tous”. Je remarque que la partie haute de la feuille a été mordillée par mon accompagnant.

Nous sommes prêts. Le plan est simple : rejoindre les bords de Saône et observer les gens, les juger du regard, les photographier et revenir témoigner sur les réseaux.

***

D’un air peu rassuré, nous passons le portail qui mène à l’impasse. C’est fait, nous sommes dehors. Les fenêtres sont fermées, difficile de dire si quelqu’un nous observe. Le danger est là, invisible. En ce moment-même, nous pourrions très bien nous trouver sévèrement jugés sans le savoir ! Nous ne nous attardons pas.

Sous le soleil dominical, notre compagnie se dirige en silence vers l’avenue. L’air est sensiblement plus pur. J’entends des sons de bricolages, mais dans ce calme urbain, il m’est impossible de deviner si cela se déroule à cinq ou cinq-cent mètres. 

La marche se déroule tranquillement, nous ne croisons tout au plus qu’une poignée de personnes qui gardent les distances conseillées. Rien de bien étonnant non plus, notre quartier est loin de l’hypercentre, et il est de nature très tranquille le dimanche. C’est au bout de trente minutes que nous arrivons sur les quais où nous constatons l’ampleur du phénomène.

Même Lemmy est sidéré, pourtant il se sidère très rarement, le lapin cultivant un cynisme révolté à toute épreuve.

Nous nous posons sur un rebord de pont, où je sors du sac mon carnet de notes et une carotte. Je commence à noter mes impressions et prendre quelques photos pendant que Lemmy mange en profitant du soleil de fin d’après-midi. 

***

Trois heures ont passé, le soleil est quasi couché, je décide de ne pas trop nous attarder. Nous remballons nos affaires.

A mi-chemin du retour, nous décelons une étrange agitation. Les fenêtres s’ouvrent, les gens se rapprochent du rebord, ils sont partout. L’inquiétude monte entre le lapin nain et moi. Hors de question de se faire juger ainsi par surprise et par un si grand nombre de gens : notre égo en serait certainement froissé. Nous accélérons le pas.

Soudain, sans le moindre signal, ça démarre. Pour nous, c’est le coup de sifflet, et nous nous mettons à courir. Si j’ai la chance de pouvoir me couvrir les oreilles, le pauvre Lemmy en est lui bien trop pourvu, il doit tout entendre… les quolibets… tout assimiler et garder cela dans le dedans…

A l’intersection de notre impasse, un accroc dans le bitume manque de me faire chuter. Par réflexe, je me rattrape avec les mains pour ne pas me blesser. Lemmy, lui, continue sa course en direction de la maison. Si une partie de moi n’apprécie pas l’acte, une autre le comprend toutefois.

Ainsi exposé aux éléments extérieurs, je m’attends au pire. Mes craintes s’évanouissent immédiatement lorsque je me rends compte que les gens applaudissent. 

Mais oui, suis-je bête ? Je n’ai pas fait attention à l”heure ! 

Il est vingt heure et c’est ce moment où le pays entier salue le dévouement du personnel hospitalier. Mesure que – je tiens à le souligner – j’avais moi-même soumis en réunion mercredi dernier. 

Quel spectacle mes ami·e·s, quel moment incroyable de voir ainsi salué·e·s ces travailleurs/ses de la santé qui trouvent milles astuces pour oeuvrer à sauver des vies, avec des contraintes structurelles nées des différentes privations gouvernementales au fil des décennies.

Je me dis qu’ils/elles ont bien eu raison de militer pour la sauvegarde du service public et d’aller courageusement affronter les CRS qui obéissent pour qu’il y ait moins de service public.

Ivre de cette énergie populaire, je me mets aussi à applaudir et sautiller au milieu de la rue. Je crie un grand : “Ouais, bravo !” ce à quoi on me répond d’une fenêtre : “Mais rentre chez toi, connard !”

Ah oui… c’est vrai. Je m’exécute.

***

Me voici derrière mon clavier pendant que Lemmy se repose dans sa cage. Je me demande s’il ne va pas préférer le confinement après cette épreuve. En tout cas, pour une fois, il se tient tranquille.

Sur les réseaux sociaux, les témoignages du jour abondent, inondent les groupes de discussions, font apparaître mille commentaires. J’y aperçois quelques photos de moi.

** POST-SCRIPTUM **

Ma chère M., 

J’ai bien enquêté, et malheureusement les nouvelles ne sont pas bonnes. Le peuple français ne semble pas se rendre compte du sérieux de la situation. 

J’espère, comme nous tous, que nous serons libérés d’ici ton anniversaire fin avril, mais rien n’est moins sûr.

Toujours est-il que mes publications m’ont fait converser avec de nombreux témoins de cette journée, nous avons prévu de nous retrouver demain sur la place Sathonay afin de voir si c’est pareil là-bas. Ce n’est certes pas à côté de chez moi, mais comment pouvons-nous juger sans preuves ?

En espérant que les difficultés de ton exil en l’Auvergne avec ta famille où tu es venue te réfugier à l’orée du confinement ne soit pas trop dur à traverser.

Avec toute mon amitié,

Jal.
Grand Reporter.

A suivre – Jour 7 : Le Grande Raoult !


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